Réseaux & Connectivité

Câbles sous-marins : l’infrastructure qui fait voyager 99% d’Internet

Découvrez comment les câbles sous-marins, invisibles mais essentiels, transportent 99% d’Internet et redessinent la géopolitique mondiale.

globe avec cable lumineux
Un réseau invisible qui relie les continents, bien plus fragile qu’on ne l’imagine.

Introduction

Invisibles mais omniprésents, les câbles sous-marins forment l’épine dorsale de notre monde numérique. Ces infrastructures fascinantes transportent 99% du trafic Internet intercontinental, reliant les continents par des milliers de kilomètres de fibres optiques déployées au fond des océans. Bien plus qu’une simple prouesse technologique, ces câbles sont devenus un enjeu géopolitique majeur et révèlent des aspects étonnants sur la fragilité de notre société connectée.


L’infrastructure cachée qui fait tourner Internet

Contrairement à l’image populaire d’un Internet « sans fil » et diffus dans l’espace, la réalité est beaucoup plus physique. En 2025, environ 600 câbles sous-marins sillonnent le globe, représentant une longueur totale de 1,5 million de kilomètres – soit 37 fois le tour de la Terre. Dix ans plus tôt, on en comptait à peine la moitié.

carte des connections des cables sous marins d'internet

Image issue de Telegeopgrahy Accéder à la carte de câbles

Chaque jour, ces câbles transportent 10 000 milliards de dollars de transactions financières, soutenant notamment le système bancaire Swift. Ils sont littéralement le système nerveux de l’économie mondiale, indispensables aussi bien aux emails personnels qu’aux communications militaires.


Une technologie invisible mais ultra sophistiquée

La structure d’un câble

Au cœur d’un câble sous-marin se trouvent des fibres optiques plus fines qu’un cheveu humain, protégées par plusieurs couches : conducteur, isolation, blindage métallique et gaine protectrice. Ces fibres transmettent des données grâce à des impulsions laser, atteignant des vitesses impressionnantes.

Certains câbles dépassent aujourd’hui les 500 térabits par seconde. Le câble Dunant de Google illustre ce saut technologique avec ses 12 paires de fibres, contre 6 à 8 habituellement, permettant un débit de 250 Tbps.

image de coupe d''un cable sous marin

Le défi de l’amplification

Un signal lumineux perd naturellement en intensité après quelques dizaines de kilomètres. Pour le maintenir, des répéteurs sont installés tous les 50 à 100 km, alimentés par une tension allant jusqu’à 18 000 volts circulant dans le cuivre du câble.

Impossible de « pousser » simplement la puissance du laser : trop de chaleur risquerait de faire fondre la fibre. Les ingénieurs utilisent donc le multiplexage en longueurs d’onde (DWDM), qui permet de faire circuler plusieurs signaux sur un seul support.


Comment pose-t-on un câble sous-marin ?

Une planification millimétrée

Avant toute installation, des géologues et ingénieurs étudient le relief marin afin de déterminer le tracé le plus sûr, évitant les zones sismiques, volcaniques, de pêche intensive ou les autres câbles déjà en place.

Ce travail implique souvent des négociations diplomatiques complexes puisque chaque tronçon traverse des zones économiques exclusives de différents pays.

Les navires câbliers

L’installation elle-même relève de l’exploit. De gigantesques navires câbliers comme le Pierre de Fermat ou le Sophie Germain (Orange Marine) déroulent les câbles avec une précision chirurgicale.

bateau qui remonte les cables sous marains

Image de Sam Grozyan sur Unsplash

Ces navires, capables de stocker jusqu’à 5 000 tonnes de câbles, utilisent des systèmes de positionnement dynamique pour rester parfaitement stables, même par mauvais temps. Dans les zones peu profondes, le câble est enfoui jusqu’à 3 mètres sous le sol marin pour éviter toute dégradation par les ancres ou les chaluts.


Quand ça casse : la réparation des câbles

Un réseau fragile

Malgré leur robustesse, les câbles sous-marins subissent en moyenne 150 à 200 pannes par an. La plupart sont dues à des activités humaines accidentelles : ancres de navires (40% des cas), chaluts de pêche, ou encore récupération de matériaux par des braconniers.

Exemple frappant :

  • en 2015, une ancre a privé presque toute l’Algérie d’Internet pendant deux semaines.
  • En 2022, l’éruption volcanique de Tonga a coupé l’unique câble reliant l’île au reste du monde, plongeant tout un pays dans le silence numérique.

Des opérations délicates

Réparer un câble est une opération longue et coûteuse. Le processus inclut :

  1. Localiser la panne avec précision.
  2. Remonter le câble endommagé.
  3. Couper et remplacer la portion défectueuse.
  4. Reposer le câble au fond de la mer.

Chaque étape demande une expertise humaine irremplaçable, notamment pour travailler sous haute tension.


Menaces : accidents, espionnage et sabotage

Les risques accidentels

La majorité des incidents reste involontaire, mais leurs conséquences sont considérables. Une simple coupure peut ralentir ou perturber tout un continent.

En Asie, où de nombreuses îles dépendent d’un unique câble, une panne peut isoler totalement une population pendant plusieurs jours.

Les tensions géopolitiques

personne qui coupe un gros cable sous l'eau

Depuis quelques années, les câbles sont devenus des cibles potentielles dans les guerres hybrides. En novembre 2024, un navire chinois a endommagé deux câbles stratégiques reliant la Suède, la Lituanie, l’Allemagne et la Finlande. Taïwan a recensé cinq coupures suspectes en 2025.

Certaines déclarations officielles, comme celles de responsables russes, laissent entendre que la destruction volontaire de câbles n’est plus un tabou stratégique. Ces infrastructures sont désormais perçues comme des leviers de puissance et de vulnérabilité.


Quel impact sur l’environnement ?

Un bilan mitigé

Les câbles sont principalement composés de plastique et de métal, chimiquement inertes une fois posés. Ils ne polluent donc pas directement les océans.

En revanche, les câbles électriques génèrent des champs électromagnétiques qui peuvent perturber les espèces sensibles comme les requins ou les anguilles. Les chercheurs continuent d’étudier ces effets, encore mal documentés.

Des câbles plus « intelligents »

Pour limiter leur impact, de nouveaux projets de câbles « SMART » intègrent des capteurs environnementaux. Ils servent notamment à détecter les tsunamis ou les séismes, transformant ces infrastructures en véritables outils de surveillance climatique et sismique.


Les câbles comme enjeu de pouvoir mondial

Des nœuds stratégiques

Certains points du globe concentrent un nombre critique de connexions. Le Japon, Singapour, Taïwan ou encore Hawaï jouent un rôle de carrefours numériques.

Cette concentration crée des vulnérabilités : l’Irlande ou Chypre, par exemple, disposent de peu de câbles alternatifs, ce qui accroît leur dépendance et leur fragilité.

Les GAFAM en première ligne

Les géants du numérique investissent désormais massivement dans leurs propres câbles. Google, Meta ou Microsoft financent directement des projets transcontinentaux afin de garantir leur indépendance et réduire les coûts liés aux opérateurs télécoms.

Meta envisage même d’investir 10 milliards de dollars dans un câble privé. Ces investissements traduisent une lutte pour la souveraineté numérique.


Un avenir en pleine accélération

La demande explose

Entre 2011 et 2018, la bande passante internationale a été multipliée par dix. Entre 2018 et 2023, elle a encore triplé. Cette croissance est alimentée par l’essor de l’IA, du cloud, de l’IoT et de la 5G.

De 2023 à 2026, environ 80 nouveaux câbles devraient entrer en service, soit près de 390 000 kilomètres supplémentaires.

L’innovation comme moteur

Le marché mondial des câbles sous-marins, évalué à 15,3 milliards de dollars en 2024, devrait croître de 10% par an d’ici 2034. Les systèmes modernes intègrent jusqu’à 24 paires de fibres et atteignent des débits records.

L’intelligence artificielle s’impose aussi dans ce domaine : en analysant les données des capteurs, elle permet de prédire les pannes et d’optimiser la maintenance.


La réponse internationale aux menaces

Face à ces enjeux, la communauté internationale commence à agir.

  • L’OTAN a lancé en 2025 la mission Baltic Sentry pour sécuriser les câbles de la mer Baltique.
  • L’Union européenne a adopté un plan d’action articulé autour de la prévention, de la détection, de la réponse rapide et de la dissuasion.

Ces mesures visent à protéger une infrastructure devenue aussi critique que l’électricité ou l’eau potable.


Conclusion

Les câbles sous-marins sont bien plus que de simples tuyaux de données. Ils incarnent la fragilité et la puissance de notre monde connecté : essentiels mais vulnérables, invisibles mais omniprésents, neutres technologiquement mais hautement stratégiques.

Leur rôle va encore s’accroître avec l’explosion des usages numériques. Mais leur protection, qu’elle soit environnementale, technique ou géopolitique, représente l’un des plus grands défis du XXIe siècle. Ces câbles sont les véritables nerfs de l’Internet mondial, et leur avenir conditionne directement celui de nos sociétés hyperconnectées.


Sources